Beaucoup de retard dans la chronique de ce split album entre Maelifell et leur frère d'armes Semper Eadem, paru il y a de nombreux mois déjà. Un disque d'obédience médiéval, très proche de ce que les deux formations ont accompli jusqu'à présent. Pourtant ma préférence va naturellement vers les compositions de Stéphane Flauder, alias Maelifell. Non pas que les titres de Semper Eadem soient moins plaisants, mais ils sont peut-être trop imprégnés de cet esprit mélodique médiéval, trop proche de cette musique de foire pour marché moyennageux. Ce qui n'enlève en rien à la qualité intrinsèque des morceaux. Toutefois, la musique de Maelifell dégage ce petit plus qui la rend si particulière. Les références et l'inspiration se situent effectivement dans l'art médiéval, mais les mélodies restent empreintes d'une nostalgie très actuelle et liée aux courants post-punk qui ont bâti les fondements de la musique darkfolk - industrielle. Les deux meilleures morceaux sont "Ronde", à la ligne mélodique originale et imparable, et le très calme "Veillée d'Armes", aux réminiscences folk d'Andromeda Complex, et aux soudaines percussions rituelles.
Il est surprenant de constater combien les projets de Stéphane Flauder (Maelifell, Fin de Siècle, ... etc) restent confidentiels, alors que la potentialité artistique de cette musique devrait le porter à une reconnaissance internationale. Ce jour viendra...

Les membres de la formation suédoise Sanctum, établis chez Cold Meat Industry, se sont groupés en un collectif intitulé Crescens Collective, diffusant leur différents projets musicaux, dont Azur Skies et Mago. Ce dernier apporte une nouvelle pierre à l'édifice complexe et structuré des Suédois, rivalisant d'ingéniosité et d'inventivité, distillant d'ordinaire une musique sombre, rituelle et électronique, d'obédience industrielle. Mago confirme leur intense boulimie musicale, offrant généreusement un album à la beauté fulgurante, à la force impénétrable, révélant leur approche à nulle autre pareille pour composer des mélodies sensibles et puissantes, enveloppées d'une texture sonore impressionnante qui force le respect de l'auditeur. De longues plages électroniques, bercées de délicates notes éparses, de nappes de synthétiseurs tantôt légères, tantôt plombées, et relevées çà et là de percussions rituelles sombres et solennelles. Une cathédrale sonore éblouissante, créant une atmosphère quasi mystique, une obscure sensation à l'émotivité sous-jacente, un sentiment de bonheur mêlé à un malaise étrangement vivifiant. Enregistré sur une période de deux ans, cet album, qui à la base était supposé devenir la bande-son d'un spectacle de danse, présente une approche tout à fait originale et différente de la musique électronique et industrielle, créant un alliage des plus intéressants, évoluant dans une direction où la musique définit l'âme, et la transcende.

Sensibilité, profondeur, puissance, voilà quelques mots qui viennent à l'esprit à l'écoute du projet de David Sullivan, Magwheels. Un album qui inquiète autant qu'il séduit, qui oppresse autant qu'il libère. De puissants drones enveloppent toute tentation de s'extraire de cet impressionnant magma sonore, d'où émergent soudain quelques cristallins arpèges de guitare, quelques délicates notes éparses, comme autant de gouttes de pluies dans l'océan démonté. Rapidement la force de frappe envahit l'espace, couvrant sur son passage les quelques tentations ultimes de sortir du tunnel, et soudain, lorsque l'orage cesse de gronder, apparaît une éclaircie salutaire et bénéfique, laissant entrevoir la lumière, révélant finalement le sens premier de cette quête de la beauté, subtile et incandescente. Les guitares se font soudainement plus abrasives, couvertes à nouveau de drones étouffants, de structures aussi inquiétantes que fascinantes. Une œuvre forte et sensible, qui parle autant à l'âme qu'aux tripes, révélant avec sincérité les talents d'un compositeur dont on ne va cesser de parler de plus en plus.

Autant Positive et Negative, les deux derniers albums de Mimetic, constituaient un ensemble cohérent et complémentaire, tout en ayant été réalisés sur deux labels différents, Sensitive et Sound A sont à considérer comme deux sorties différentes dans leur approche, bien que figurant sur le même support, un magnifique double CD à la présentation luxueuse. Ce paradoxe montre à quel point Jérôme Soudan est un acharné du travail, un artiste prolifique et talentueux. Intégrant à lui seul la richesse d'une culture industrielle européenne en se révélant son plus ardent représentant et défenseur, il n'hésite pas à se renouveler à chaque fois, intégrant dans son travail une multitude de nouveaux éléments indispensable à son interminable quête sonore, à sa recherche du Saint Graal électronico indus. Sur ces deux albums (car il s'agit bien de deux disques bien distincts, malgré une filiation sonore évidente et logique), les ambiances cinématographiques et planantes de ses précédents travaux ont évolué vers des sonorités plus digitales, brutes et rythmées. L'électronique dans toute sa puissance, ses variations et sa diversité. Un son qui se veut plus poussé et rythmé encore sur Sound A, des titres plus évidents, instinctifs. L'aventure Mimetic, avec tous ses dérivés, représente un parfait exutoire au musicien, hors des sentiers lumineux qu'il poursuit avec Von Magnet. Un double CD pour deux albums jouissifs d'électronique intense et luxuriante.

Autrefois arpentant les sillons ouverts avec succès par les Young Gods, Mlada Fronta s'est aujourd'hui recentré sur l'essence même de sa musique, en privilégiant l'essentiel pour aboutir à un son qui lui est propre, à une maturité méritée et aboutie. Une musique électronique rythmée, instrumentale, truffée d'effets sonores délirants, aussi sombre qu'enjouée, aussi vivante que pétrifiante. Les délires sautillants et festifs succèdent aux plages plus ambient et introspectives, laissant une impression bénéfique et salutaire à l'ensemble, bénéficiant ainsi d'une respiration vitale, sans pour autant briser l'élan. Une construction intelligente et complexe, qui laisse le soin à l'auditeur de découvrir avec sérénité la palette sonore impressionnante et variée d'une musique en constante évolution. Les atmosphères plus cinématographiques et visuelles s'associe ainsi à merveille aux tensions générées çà et là aux morceaux plus électronico-indus. L'album de remixes accompagnant l'original est tout aussi captivant et complémentaire, laissant l'agréable sensation d'entendre une suite logique au premier disque, tant la richesse des remixes s'impose naturellement. On retrouve donc à cet exercice des pointures comme Mimetic, Dither, Gom, Data Raper, Milligramme, Tarmvred, et comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, Mlada Fronta en personne recomposant ses propres morceaux. Un double album d'une qualité irréprochable.

La musique pop française s'était réveillée il y a plusieurs années avec les mélopées incandescentes de Dominique A., montrant fièrement qu'il n'y avait pas à rougir de nos influences majeures de la chanson française, de Barbara à Brel, en passant pas Henri Salvador. Depuis toute une génération d'artistes se sont retrouvés, de Katerine à Matthieu Boogaerts, ainsi qu'une multitude d'autres personnes, au sein d'une famille n'ayant plus peur d'utiliser leur langue maternelle pour exprimer leurs émotions, au point de rendre l'emploi de l'anglais presque ridicule pour une formation française. Jérémie Tschanz, l'âme de Monsieur Obsolète, débarque avec candeur et fracas, en présentant son album à l'élégance magistrale et à l'écriture pop brillante. Sur des textes stupéfiants à l'originalité déconcertante, Monsieur Obsolète assène une musique tendre et fragile, magique et opulente. D'une clarté étincelante, ces compositions flirtent avec les mélopées éternelles de Brassens et de Gainsbourg, lançant un clin d'œil aux défunts Oui-Oui, avec une petite touche très personnelle et actuelle qui rappelle incroyablement les magnifiques envolées de Belle And Sebastian. Un album pop, dans ce que ce terme comporte de plus noble, parvenant avec une facilité désarmante à se positionner au rang de la nouveauté la plus intéressante des ces dernières années au sein de cette musique intemporelle. Chapeau bas !

L'ex-Jayhawks revient sur le devant de la scène avec un nouvel album, quittant la solitude bienfaitrice du désert, en compagnie de sa femme Victoria Williams, égérie country d'une époque révolue, et de ses Creekdippers, qui sont à Mark Olson ce que les Bad Seeds sont à Nick Cave. Mais la comparaison s'arrête là, bien que la base éternelle qui lie la musique de ces deux artistes soit la même, car où Nick Cave se révèle bien plus tortueux et incisif, sombre et magnanime, Olson suit quant à lui les chemins tracés du folk américain à la Dylan. Ce qui les sépare reste donc l'approche et l'appréhension, au cœur même du ressentiment musical le plus fort. Sur ce cinquième album solo, son meilleur, Olson signe ses chansons les plus personnelles et poétiques de sa carrière, retraçant sa vie ainsi que celle de sa femme, leur vie commune dans le désert de Californie. Une musique folk fortement ancrée dans la tradition nord-américaine, dont le fils prodigue aujourd'hui pourrait être Will Oldham de Palace. D'honnêtes chansons qui ne vieillissent pas, au son de l'Amérique profonde, de son âme et de son cœur.

Découvert sur la compilation de Cynfeirdd "Songs for Landeric", la formation polonaise One Inch of Shadow sort son premier véritable album sur le label Perun, après plusieurs auto-productions. Lancinante et plaintive, sombre et volatile, leur musique se faufile délicatement tel un murmure dans les méandres de sonorités étouffées et de voix calfeutrées. Judicieusement décalée, à la fragilité adoucie et ténébreuse, leurs complaintes éthérées avancent au ralenti, flottant inlassablement aux confins d'une multitude d'ambiances volatiles et émotives. De subtiles plages ambient mélodiques et répétitives, denses et nonchalantes, invoquent un spleen psychédélique aussi enivrant qu'étouffant. Entre rêve et réalité, One Inch of Shadow essaient en vain de percer le brouillard, de trouver la lumière, sans hausser le ton, concentrés sur leurs sonorités infinies et linéaires. Une atmosphère lunaire, bercée par une instrumentation judicieuse, piano, guitare, trompette, percussions, essaime les jalons d'une musique uniforme à la richesse enviable. Un mur de son, inviolable et impénétrable, laisse planer le mystère. Ce disque nous renvoie dans nos songes, nos terres inconnues, notre part d'ombre, enseveli par les premières neiges de décembre. La nature qui se meurt, dans toute sa splendeur.

"Funéraille des petits enfants" dévoila les charmes envoûtants, il y a environ 2 ans, d'O Quam Tristis, formation française sur les traces d'Opera Multi Steel. Leur maîtrise infaillible d'un style périlleux impressionna grandement, charmés que nous étions par ces mélodies douces-amères, entre électronique et acoustique, sur fonds de chants latins et de rondes médiévales, inspirés directement du Stabat Matter. Ils reviennent avec le superbe " Le Rituel Sacré ", à la production sans faille et à l'inspiration grandissante. Cet album non seulement confirme tout le potentiel entrevu dans le premier disque, mais augment encore la confiance accordée aux Français, tant la qualité de leur musique a gagné en maturité et en émotions. Une pureté sonore impressionnante, écrin de cristal scintillant de son charisme intrinsèque. Un duo vocal masculin et féminin domine chaque joyau, sur fonds d'électronique sincère et entraînante, de percussions synthétiques et parfois d'instruments traditionnels, assénant les ambiances divines de ritournelles chantées en latin. On se rappelle au bon souvenir de Qntal, leurs frères d'armes germaniques, ravivant la richesse de notre culture musicale médiévale, rhabillée aux couleurs de notre époque. Un album intense et gracieux, profond et mystique, ravivant à son comble les délices de l'art funéraire. Excellent !

Leur précédent album, "Pennsylvania", reste à ce jour un de leur plus beau disque, et certainement un des plus beaux disques que je connaisse. Et voilà qu'ils viennent de sortir un nouvel opus, "St.Arkansas", qui se révèle aussi réussi et jouissif que son prédécesseur. David Thomas et son Pere Ubu, en 27 ans de règne, ont toujours été en avance sur leur époque, distillant un rock avant-gardiste sombre et incisif, complexe et radical. Il est impossible de comparer Pere Ubu à quelque autre formation, tant ils sont uniques, surpassant de loin tout suiveur égaré. "St.Arkansas" se révèle encore plus noir que prévu, nous dirigeant dans des contrées inconnues, alors que nous pensions que tout était dit. David Thomas excelle dans la capacité à se renouveler, à confondre les méandres d'une voie tracée. Une musique chaotique, en dent de scie, intransigeante et profonde, d'une cruauté brillante, d'une puissance évocatrice rare. Une voix inégalée, tremblante, au bord du gouffre, à la justesse troublante, ignorant les abîmes interdits. Des titres fantastiquement vibrants, virevoltant dans un espace fragile, semblant se disloquer à chaque seconde, pour laisser apparaître finalement une charpente cossue, une âme écorchée, un cœur meurtri et apaisé. Pere Ubu figure certainement parmi les formations les plus importantes de l'histoire du rock, ayant toujours eu une longueur d'avance phénoménal et indécente. Un disque étonnant, que l'on n'attendait plus, et qui constitue ni plus ni moins qu'un chef d'œuvre incomparable.

Le premier album de ce projet néerlandais de néoclassique présente dix morceaux instrumentaux sans titre qui englobent une variété de styles. La musique est à base de puissantes percussions militaires, de claviers, de cordes et des samples classiques judicieusement choisis. Des morceaux puissants et grandiloquents alternent avec des passages plus calmes mais néanmoins sinistres pour conférer une ambiance dramatique à l'album. Techniquement sans fautes, cet album démontre la maturité de ce projet, ce qui les met de pair avec des projets plus établis dans le genre tels que Sophia ou Puissance.

Marcelo Radulovich est un musicien né au Chili, et basé depuis longtemps à San Diego et à Los Angeles. Multi-instrumentiste, ayant écumé la scène punk hardcore locale dans les années 80, Radulovich trouva ensuite sa voie dans la musique expérimentale et improvisée. Son dernier album, "Hello", englobe autant l'audiovisuel que la littérature et les performances scéniques. Musicalement, "Hello" est truffé de voix diverses, de samples, de boucles, d'effets, de drones digitaux, de mélodies répétitives, d'incursions musicales impromptues, d'improvisations incessantes, ayant comme thème récurrent et comme fil conducteur une voix qui inlassablement répète sur chaque morceau : Hello ! de mille et une façon. Cela peut paraître plutôt étrange au premier abord, mais le résultat est souvent captivant, évoluant au gré des envies en des sons et des atmosphères glauques et festives, sur une musique électronique enjouée et répétitive, une sorte de patchwork musical incluant plusieurs styles variés et flamboyant. Reste une impression mitigée face à des compositions électroniques expérimentales, tantôt géniales, tantôt plus difficiles d'accès, tantôt sans intérêt. Un disque qu'Andy Warhol n'aurait pas renié, coloré et virevoltant, mais aussi introspectif et étrangement fascinant.

On connaissait Rasal.A'Sad pour sa participation avec un titre ambient à la compilation 'Thisconnected' sortie sur le label portugais This.Co. Dans la même veine, quatre longs titres ambient (bien que seulement trois soient listés sur la pochette) composent leur album sorti sur ce même label. Comme le nom le suggère, 'Space Scape' distille une musique cosmique, propre à la rêverie, construite autour de longues plages synthétiques... Rien de bien novateur mais un album plaisant à l'écoute, particulièrement le second titre intitulé 'Be.In'.

L'artiste suisse Knut Remond s'inspire directement de son lieu d'habitation pour composer sa musique à l'intensité ravageuse. Les falaises escarpées de son Valais natal, les montagnes abruptes, les couleurs, le gris des pierres, le vert des forêts, les volumes, la lumière, …etc. il en résulte une musique incroyablement vivante et puissante, une ritournelle industrielle impressionnante, emplie de drones divers, de structures incandescentes, de plages sonores étouffantes, avec comme fil conducteur une voix féminine de soprano. La musique est construite à base d'orgues, travaillée en modulations diverses, ajoutant toutes sortes de bruits, imprégnant l'œuvre des murmures du vent, insufflant une fantaisie expérimentale riche et variée. Les morceaux sont ensuite retravaillés en studio au synthétiseur en ajoutant des percussions. L'album revêt donc ses habits de lumière, avec un son à l'intensité maîtrisée, offrant tout les dons de la Nature, toutes nos forces et nos faiblesses, toutes nos joies et nos peines, la beauté et la plénitude. Une œuvre ambient industrielle de grande qualité. Excellent !

Jason Robinson, compositeur et improvisateur, a derrière lui une longue carrière musicale, tant dans l'enseignement que dans différentes formations. Exerçant dans le jazz, il s'approche plutôt du free-jazz, laissant ainsi libre cours à ses expérimentations diverses. Sur " Tandem ", il s'est entouré de différents autres artistes au piano, à la basse, au trombone, aux percussions, etc… le résultat est plutôt surprenant, offrant une musique naviguant sans cesse entre jazz, expérimentations, improvisations, ambient et dérives électroniques. Une musique intensément émotive, sur le fil du rasoir, en pleine ébullition, prête à exploser à chaque moment. Des explorations expérimentales dans l'univers du jazz, certes difficiles d'accès, mais qui procurent à l'oreille une expérience auditive rebelle et captivante, sans répit.